Martin est décédé le 20 juin 2008, soit 2 semaines avant le déménagement dans notre nouveau condo.
Il a laissé dans le deuil sa famille, ses nombreux amis, et son ptit brin de femme (ca, c'est moi!).
Mais il a également laissé une marque indélébile de son passage sur cette terre.
La vie, elle, a continué pour moi.
Les meubles ont fait leur place dans ma nouvelle demeure, comme le soleil s’est à nouveau lever sur mon âme. Tranquillement, les pièces ont pris des couleurs; les lumières ont inspiré des lueurs d’espoir. Tous les jours, des brises de bonheur soufflent par la porte de mon balcon. Le condo a pris vie, mon cœur aussi.
Car même si la vie peut être courte, elle est toujours magnifique.
L'annonce d'une triste nouvelle n'est jamais facile à absorber. Celle qui annoncait à Martin que des métastases avaient envahi son corps est probablement l'un des moments les plus intense émotionnellement que j'aie vécu. Je désire simplement partager ce que j'ai écrit à l'époque à ce sujet.
Pour mieux comprendre toutes les pensées qui peuvent nous traverser l'esprit. Toutes les émotions qui peuvent ravager notre fort intérieur.
Toute la peine qui peut submerger notre coeur.
*****
''Vous est-il déjà arrivé d’avoir l’impression que le monde s’est complètement arrêté de tourner, qu’autour de vous, c’est le vide, l’infini…comme si la pièce dans laquelle vous vous trouviez s’était tout d’un coup vidée de son air, de chacune de ses infimes molécules qui la composent? Le Rien. L’absolu RIEN. Les pieds dans le vide, au-dessus d’un immense précipice qui ne finit plus.
C’est ce que je vis présentement. Cette sensation que plus rien n’existe, mais qu’en même temps, tout est là, présent plus que jamais dans cette minuscule fraction de seconde de ma vie. Je réalise l’existence de chaque petit détail dans cette pièce blanche, triste et froide. Je me raccroche aux moindres petits objets devant mes yeux, les analyses, les découvrent pour la première fois. Je suis, c’est tout. La vie est. Dans cet instant précis de ma vie, j’existe plus que jamais. Ironiquement, l’idée de la mort n’a jamais été si présente.
Peut-être faut-il y être confronté pour vraiment comprendre le sens de la vie.
Devant moi, l’homme de ma vie est assis, fixant un monde que je ne connais pas, un monde qu’il découvre seul, qui ne m’est pas accessible. Les médecins ont découvert que des métastases ont envahit le système de Martin, suite à son cancer de la langue, qui pourtant était en rémission. Métastases…j’ai déjà entendu ce mot. Pas très rassurant…Un mot, quatre syllabes et des vies entières brisées. Pourtant, juste de l’autre côté de la porte, paraîtrait-il que la vie continue. Que des gens circulent, font leur travail, que des patients se remettre peu à peu de leur opération, reçoivent de la visite et des fleurs, préparent leur bagage en vue de leur retour à la maison. Pour moi, l’autre côté de la porte est un autre monde, une autre vie et je n’ai plus la clé pour y accéder. Dès que j’ai franchi cette porte il y a quelques minutes, elle s’est verrouillée derrière moi, m’enfermant dans cette vie parallèle qui sera désormais mienne. Car je ne peux plus retourner en arrière, franchir de nouveau cette porte et revenir dans mon petit monde confortable, plein d’espoir et de projets avec mon beau Martin. Et à ce moment précis, c’est mon désir le plus cher.
Jamais je n’aurais dû entrer dans cette pièce.
Le coup est si brutal, si invraisemblable que mon esprit, par une agile feinte, évite le choc. Il ne peut intégrer cette nouvelle information, il n’arrive même pas à la déchiffrer, à la traduire en mots ou en image. Il préfère me protéger, laisser filtrer quelques bribes d’information au compte-goutte, espérant éviter le pire. Mon corps et ma tête ne pourraient supporter davantage. Heureusement, mon esprit est raisonnable et sait doser la quantité d’information que je peux supporter sans trop de dégât. Je n’ai pas de réaction, pas d’émotion. Je suis à OFF.
Je regarde intensément Martin, essayant de comprendre ce qui se passe. J’essaie de trouver cette petite faille qui me confirmera que tout ca n’est qu’un cauchemar. Car même si mon esprit contrôle la situation, mon cœur a compris. Et il sent cette fine lame le transpercer. La douleur de la blessure n’est pas encore très présente car l’immensité de la situation a engourdi mes facultés, mes sensations, ma vie.
Alors la tête froide, je cherche, je persiste à chercher un indice, un détail qui nous ramènerait en arrière, dans l’insouciance, l’innocence de nos beaux jours…En vain, je ne discerne aucun signe…
Le médecin m’offre de m’asseoir aux côtés de mon amoureux. Tel une automate, je me lève, m’approche et m’installe sur la chaise de métal froid. Que faire de plus sinon que lui donner la main. Geste parfois si banal mais ô combien intense dans une telle situation. L’impuissance peut être si lourde à porter.
Au contact de la chaleur de sa main, je me rappelle ce qu’elles ont toujours été pour moi : caresses, douceur, sécurité, …mais cette fois, c’est ma main qui a cette responsabilité de sécuriser, de rassurer, de raccrocher Martin à la vie. Ma main se sent bien seule, installée dans le creux de la sienne. Moi aussi, je sens cette solitude. Aucun mot, aucun geste ne peut combler ce vide. Le médecin continue de nous expliquer les détails du diagnostique, mais les mots se bousculent dans ma tête et ne font aucun sens. J’écoute d’une oreille, mais je suis ailleurs : je suis dans mes souvenirs avec Martin, dans nos moments de bonheur, dans notre voyage à Punta Cana que nous venons tout juste de faire…je suis aussi dans notre futur, dans ce condo que nous venons d’acheter ensemble et dont nous planifions déjà la décoration, l’ameublement, les couleurs et la petite vie que nous y mènerons.
Je suis hier, je suis demain, mais je ne suis certainement pas aujourd’hui.
J’essaie pourtant de me concentrer sur les paroles du médecin, sur les gestes des infirmières qui nous accompagnent, sur l’intervention de Martin qui demande à une infirmière de donner un mouchoir à sa mère qui pleure intensément. Ah mon amour : tu ne changes pas! Même dans cette intense situation, malgré ce malheur qui te frappe aujourd’hui, tu demeures présent et attentif aux autres. Fidèle à toi-même, tu t’assures du bon déroulement de cette rencontre.
Les moments qui ont suivi sont plutôt flous dans ma tête. J’ai marché en direction de la chambre d’hopital de Martin, aux côtés des intervenants et des parents de Martin, la tête vide, regardant devant moi Martin, affaibli par la maladie, en tête du peloton, la tête haute malgré tout. L’impuissanc et l’inconnu règnent dans la chambre de Martin. Pour la première fois de ma vie, je ne peux trouver un seul mot de réconfort. Je n’avais pourtant pas manqué d’inspiration dans les dernier mois!
Ainsi, comme si mon temps de visite était simplement terminé après une visite de routine, je souhaite bonne nuit à Martin, lui dis à demain, et je quitte. Un immense besoin de sortir et de crier à m’en arracher les poumons embrouille mes idées. Une boule s’est formée dans mon estomac dans les dernières heures, et je dois à tout prix faire sortir ce poids, c’est une question de survie pour moi.
Ce qui est le plus pénible lorsque nous sommes porteur d’une triste nouvelle, lorsqu’un évènement plus grand que nature nous arrive et qu’il est au-delà de ce que nous pouvons comprendre et interpréter, c’est de vivre et d’accepter chaque seconde qui s’écoule. On dirait qu’une vie entière naît et meurt dans chacune de ces secondes. Elles deviennent insupportables, des fardeaux inutiles à porter. C’est pourquoi le trajet en taxi vers chez mon amie Sophie-Anne est des plus pénible. Je fais un effort surhumain pour éloigner cette réalité qui tente de me rattraper avant que je n’arrive à destination. J’aimerais que le chauffeur accélère, qu’il la sème et que j’y échappe. Le temps m’est totalement insupportable : je n’ai aucune patience, je ne tiens plus en place. C’est loin, Laval!! Je me concentre sur les gens qui marchent dehors, sur la vie qui anime les rues. La vitre du taxi me sépare de cette réalité dont je désire tellement faire partie! Je reconnais les paysages et je sais que nous approchons. Plus vite SVP monsieur le chauffeur! Je me sens en ébullition, il y a trop d’émotions en moi, je ne pourrai les contenir bien longtemps encore.
Me voilà devant la maison de Sophie-Anne. C’est à peine si je me souviens des minutes qui ont suivi. Je frappe à la porte : j’ai l’impression que ma grande amie m’attendait, la main sur la poignée, prête à ouvrir, à accueillir ma peine, à partager ma douleur.
Puis, sans crier gare, la réalité me fouette en plein visage, avec une intensité phénoménale. Comme si en ouvrant la porte, la maison me laissait déverser toute la tristesse et l’impuissance contenues dans mon cœur tel un torrent, me submergeant d’une vague de désespoir, m’étouffant presque. J’ai si mal tout à coup, je sens une douleur soudaine m’envahir, circulant à travers mes veines et alimentant chacune de mes cellules. C’est insupportable, j’ai l’impression que je vais m’effondrer par terre. Heureusement, Sophie-Anne est là pour me supporter, me permettre de rester debout, forte. Je pleure si fort, mes larmes inondent ses épaules, mes soubresauts me font presque peur tellement ils sont intenses. Toutes les émotions de la journée, ma peine, ma douleur, mes idées s’échappent en même temps, pêle-mêle, sans ordre logique. Comme si je m’étais retrouvée sous l’eau pendant trop longtemps et qu’enfin je me retrouvais à la surface, cherchant l’oxygène nécessaire pour reprendre mes esprits.
Maintenant que j’ai quelque peu repris mes esprits, je me vois dans l’obligation de contacter les amis de Martin qui attendent des nouvelles à son sujet. Mais comment leur annoncer ce qui arrive? Quels mots utiliser, par quoi commencer? Qui suis-je pour leur annoncer une telle nouvelle qui les bouleversera au plus haut point? Je sais pourtant que je me dois de le faire, et je n’irai pas me coucher tant que ce ne sera pas fait! Ma fidèle amie est assise près de moi, sur le sofa, tenant un sandwich qu’elle a préparée pour m’éviter de m’effondrer de faiblesse. Mais qui aurait faim dans une telle situation? Le sandwich restera là…Je prends mon courage à deux mains, une bonne inspiration et me voilà qui signale un premier numéro de téléphone. Dès que l’on décroche et que je me nomme, j’entends une voix enjouée me répondre. Les amis de Martin sont habitués de m’avoir au téléphone puisque Martin ne parle pas beaucoup suite à son opération. J’aurais envie de simplement discuter de tout et de rien avec eux, et raccrocher, tout simplement. Ne pas avoir à faire ce que j’ai à faire.
Le silence…première réaction de chaque ami suite à l’annonce…quel seront les premiers mots? Il fallait s’y attendre, on ne sait pas quoi dire. De toute façon, qu’y a-t-il à dire, vraiment? Les conversations se terminent toutes très rapidement, d’ailleurs. Tout a été dit, ne reste qu’à espérer tous ensemble. Après chaque appel, je me sens ridicule. Tout est si invraisemblable, que j’ai l’impression que je devrai tous les rappeler dans la prochaine heure et leur annoncer qu’il s’agissait d’une mauvaise farce. Je me demande tout à coup ce qui me prend de tous les appeler et de leur raconter toutes ces idioties ! Non mais, ce ne sont pas des farces à faire!!
MA VIE EN PARALLÈLE:
Les mois qui ont suivi l’annonce, je les ai passés dans notre appartement du plateau, avec le titre d’infirmière. J’ai pris soin de mon amoureux au mieux de mes connaissances, avec les conseils et les recommandations des infirmières du CLCS qui passaient chaque jour, du pharmacien que je rencontrais régulièrement étant donnée les nombreuses prescriptions, de la docteure qui nous visitait chaque semaine, de la physio qui soulageait les maux physiques de Martin. La table à dîner remplie de médicaments, je mangeais (quand j’avais le temps) au salon. Heureusement, quelques après-midi par semaine, la mère de Martin venait prendre la relève. J’en profitais alors pour faire les courses, travailler, passer à la pharmacie et si possible, m’arrêter quelques instants et prendre du temps pour me retrouver. Cependant, jamais je ne retrouvais la Julie que je connaissais. D’une fois à l’autre, c’était une Julie plus mature, plus réfléchie, sur l’adrénaline. Je devais gérer les moindre détails de la vie de Martin, m’assurer de son bien-être, des suivis médicaux, sans compter la gestion des visites des amis à l’appartement et des alternatives médicales possibles pour Martin. Martin étant probablement la personne la plus sociale que j’aie connue dans ma vie, il était entouré de plusieurs amis, tous aussi généreux et disponibles qu’il l’était lui-même. Ainsi, j’ai pu compter sur le support inestimable de ces gens au grand cœur. Eric, qui nous a installé de l’air climatisé dans la chambre du fond où couchait Martin. Shane, qui nous a fait rencontrer une naturopathe. La petite poupou, enceinte de 8 mois, qui prenait sa voiture et se rendait toute seule dans la grande ville pour garder Martin et me donner une pause. Sophie-Anne, qui s’assurait de mon bien-être jour et nuit. Ian et Lisa, qui me faisait de petites épiceries. Belle-maman qui m’apportait des petits plats pour la semaine. Ma famille, bien entendu, qui, malgré la distance, me supportait de son mieux (il faut dire que mon papa faisait des traitements de chimio à ce moment...mais ca, c'est une autre histoire!). Et bien d'autres personnes qui nous ont aidé à travers cette épreuve, de près ou de loin, que ce soit par du support moral ou de petites attentions.
Ces gens m’ont permis de passer à travers cette difficile épreuve, de m’accrocher à de solides bases et ainsi me permettre de me tenir debout et être forte pour Martin.
LE DÉBUT DE LA FIN
Ce matin-là, j’ai dû composer le 9-1-1. Rationnellement, ce sont trois simples chiffres. Émotionnellement, ils prennent un tout autre sens. C’était urgent, Martin était dans un état grave et je n’avais pas la moindre idée des répercussions. Quand j’ai vu ce sang couler de sa bouche, une autre Julie a pris ma place. Calme et en contrôle, elle a rassuré Martin, a relevé de lit électrique pour lui permettre d’être en position assise et lui a dit, tout simplement, qu’elle allait appeler de l’aide pour prendre soin de lui. Dès la sortie de la chambre, je suis revenue à la réalité…ce qui arrivait pouvais être très grave et je n’avais personne à mes côtés. Avant que la panique ne s’empare de moi, j’avais une dame du 9-1-1 à l’autre bout de la ligne. Je devais concentrer tous mes efforts pour ne pas crier au téléphone, pour lui expliquer le plus précisément possible ce qui se passait et m’assurer d’avoir du secours le plus rapidement possible. À l’arrivée des ambulanciers, j’ai dû donner de la morphine à Martin avant qu’on ne le transporte sur la chaise-civière. L’injection de ce médicament doit s’effectuer le plus lentement possible, puisqu’elle provoque une sensation de brûlure lorsqu’elle est faite trop rapidement. C’est incroyable à quel point il est possible, même dans les situations les plus extrêmes, de contrôler, sans faille, ce que nous faisons. Toute l’attention est orientée vers un seul but. Nous sommes en total contrôle de la situation et notre esprit ne voit rien d’autre. Puis, une fois traversée l’épreuve, on se retrouve à la surface de l’eau, on peut reprendre notre souffle, on revient à la vie…on revient à la dure réalité…
...et il faut continuer d’avancer.''
Il a laissé dans le deuil sa famille, ses nombreux amis, et son ptit brin de femme (ca, c'est moi!).
Mais il a également laissé une marque indélébile de son passage sur cette terre.
La vie, elle, a continué pour moi.
Les meubles ont fait leur place dans ma nouvelle demeure, comme le soleil s’est à nouveau lever sur mon âme. Tranquillement, les pièces ont pris des couleurs; les lumières ont inspiré des lueurs d’espoir. Tous les jours, des brises de bonheur soufflent par la porte de mon balcon. Le condo a pris vie, mon cœur aussi.
Car même si la vie peut être courte, elle est toujours magnifique.
L'annonce d'une triste nouvelle n'est jamais facile à absorber. Celle qui annoncait à Martin que des métastases avaient envahi son corps est probablement l'un des moments les plus intense émotionnellement que j'aie vécu. Je désire simplement partager ce que j'ai écrit à l'époque à ce sujet.
Pour mieux comprendre toutes les pensées qui peuvent nous traverser l'esprit. Toutes les émotions qui peuvent ravager notre fort intérieur.
Toute la peine qui peut submerger notre coeur.
*****
''Vous est-il déjà arrivé d’avoir l’impression que le monde s’est complètement arrêté de tourner, qu’autour de vous, c’est le vide, l’infini…comme si la pièce dans laquelle vous vous trouviez s’était tout d’un coup vidée de son air, de chacune de ses infimes molécules qui la composent? Le Rien. L’absolu RIEN. Les pieds dans le vide, au-dessus d’un immense précipice qui ne finit plus.
C’est ce que je vis présentement. Cette sensation que plus rien n’existe, mais qu’en même temps, tout est là, présent plus que jamais dans cette minuscule fraction de seconde de ma vie. Je réalise l’existence de chaque petit détail dans cette pièce blanche, triste et froide. Je me raccroche aux moindres petits objets devant mes yeux, les analyses, les découvrent pour la première fois. Je suis, c’est tout. La vie est. Dans cet instant précis de ma vie, j’existe plus que jamais. Ironiquement, l’idée de la mort n’a jamais été si présente.
Peut-être faut-il y être confronté pour vraiment comprendre le sens de la vie.
Devant moi, l’homme de ma vie est assis, fixant un monde que je ne connais pas, un monde qu’il découvre seul, qui ne m’est pas accessible. Les médecins ont découvert que des métastases ont envahit le système de Martin, suite à son cancer de la langue, qui pourtant était en rémission. Métastases…j’ai déjà entendu ce mot. Pas très rassurant…Un mot, quatre syllabes et des vies entières brisées. Pourtant, juste de l’autre côté de la porte, paraîtrait-il que la vie continue. Que des gens circulent, font leur travail, que des patients se remettre peu à peu de leur opération, reçoivent de la visite et des fleurs, préparent leur bagage en vue de leur retour à la maison. Pour moi, l’autre côté de la porte est un autre monde, une autre vie et je n’ai plus la clé pour y accéder. Dès que j’ai franchi cette porte il y a quelques minutes, elle s’est verrouillée derrière moi, m’enfermant dans cette vie parallèle qui sera désormais mienne. Car je ne peux plus retourner en arrière, franchir de nouveau cette porte et revenir dans mon petit monde confortable, plein d’espoir et de projets avec mon beau Martin. Et à ce moment précis, c’est mon désir le plus cher.
Jamais je n’aurais dû entrer dans cette pièce.
Le coup est si brutal, si invraisemblable que mon esprit, par une agile feinte, évite le choc. Il ne peut intégrer cette nouvelle information, il n’arrive même pas à la déchiffrer, à la traduire en mots ou en image. Il préfère me protéger, laisser filtrer quelques bribes d’information au compte-goutte, espérant éviter le pire. Mon corps et ma tête ne pourraient supporter davantage. Heureusement, mon esprit est raisonnable et sait doser la quantité d’information que je peux supporter sans trop de dégât. Je n’ai pas de réaction, pas d’émotion. Je suis à OFF.
Je regarde intensément Martin, essayant de comprendre ce qui se passe. J’essaie de trouver cette petite faille qui me confirmera que tout ca n’est qu’un cauchemar. Car même si mon esprit contrôle la situation, mon cœur a compris. Et il sent cette fine lame le transpercer. La douleur de la blessure n’est pas encore très présente car l’immensité de la situation a engourdi mes facultés, mes sensations, ma vie.
Alors la tête froide, je cherche, je persiste à chercher un indice, un détail qui nous ramènerait en arrière, dans l’insouciance, l’innocence de nos beaux jours…En vain, je ne discerne aucun signe…
Le médecin m’offre de m’asseoir aux côtés de mon amoureux. Tel une automate, je me lève, m’approche et m’installe sur la chaise de métal froid. Que faire de plus sinon que lui donner la main. Geste parfois si banal mais ô combien intense dans une telle situation. L’impuissance peut être si lourde à porter.
Au contact de la chaleur de sa main, je me rappelle ce qu’elles ont toujours été pour moi : caresses, douceur, sécurité, …mais cette fois, c’est ma main qui a cette responsabilité de sécuriser, de rassurer, de raccrocher Martin à la vie. Ma main se sent bien seule, installée dans le creux de la sienne. Moi aussi, je sens cette solitude. Aucun mot, aucun geste ne peut combler ce vide. Le médecin continue de nous expliquer les détails du diagnostique, mais les mots se bousculent dans ma tête et ne font aucun sens. J’écoute d’une oreille, mais je suis ailleurs : je suis dans mes souvenirs avec Martin, dans nos moments de bonheur, dans notre voyage à Punta Cana que nous venons tout juste de faire…je suis aussi dans notre futur, dans ce condo que nous venons d’acheter ensemble et dont nous planifions déjà la décoration, l’ameublement, les couleurs et la petite vie que nous y mènerons.
Je suis hier, je suis demain, mais je ne suis certainement pas aujourd’hui.
J’essaie pourtant de me concentrer sur les paroles du médecin, sur les gestes des infirmières qui nous accompagnent, sur l’intervention de Martin qui demande à une infirmière de donner un mouchoir à sa mère qui pleure intensément. Ah mon amour : tu ne changes pas! Même dans cette intense situation, malgré ce malheur qui te frappe aujourd’hui, tu demeures présent et attentif aux autres. Fidèle à toi-même, tu t’assures du bon déroulement de cette rencontre.
Les moments qui ont suivi sont plutôt flous dans ma tête. J’ai marché en direction de la chambre d’hopital de Martin, aux côtés des intervenants et des parents de Martin, la tête vide, regardant devant moi Martin, affaibli par la maladie, en tête du peloton, la tête haute malgré tout. L’impuissanc et l’inconnu règnent dans la chambre de Martin. Pour la première fois de ma vie, je ne peux trouver un seul mot de réconfort. Je n’avais pourtant pas manqué d’inspiration dans les dernier mois!
Ainsi, comme si mon temps de visite était simplement terminé après une visite de routine, je souhaite bonne nuit à Martin, lui dis à demain, et je quitte. Un immense besoin de sortir et de crier à m’en arracher les poumons embrouille mes idées. Une boule s’est formée dans mon estomac dans les dernières heures, et je dois à tout prix faire sortir ce poids, c’est une question de survie pour moi.
Ce qui est le plus pénible lorsque nous sommes porteur d’une triste nouvelle, lorsqu’un évènement plus grand que nature nous arrive et qu’il est au-delà de ce que nous pouvons comprendre et interpréter, c’est de vivre et d’accepter chaque seconde qui s’écoule. On dirait qu’une vie entière naît et meurt dans chacune de ces secondes. Elles deviennent insupportables, des fardeaux inutiles à porter. C’est pourquoi le trajet en taxi vers chez mon amie Sophie-Anne est des plus pénible. Je fais un effort surhumain pour éloigner cette réalité qui tente de me rattraper avant que je n’arrive à destination. J’aimerais que le chauffeur accélère, qu’il la sème et que j’y échappe. Le temps m’est totalement insupportable : je n’ai aucune patience, je ne tiens plus en place. C’est loin, Laval!! Je me concentre sur les gens qui marchent dehors, sur la vie qui anime les rues. La vitre du taxi me sépare de cette réalité dont je désire tellement faire partie! Je reconnais les paysages et je sais que nous approchons. Plus vite SVP monsieur le chauffeur! Je me sens en ébullition, il y a trop d’émotions en moi, je ne pourrai les contenir bien longtemps encore.
Me voilà devant la maison de Sophie-Anne. C’est à peine si je me souviens des minutes qui ont suivi. Je frappe à la porte : j’ai l’impression que ma grande amie m’attendait, la main sur la poignée, prête à ouvrir, à accueillir ma peine, à partager ma douleur.
Puis, sans crier gare, la réalité me fouette en plein visage, avec une intensité phénoménale. Comme si en ouvrant la porte, la maison me laissait déverser toute la tristesse et l’impuissance contenues dans mon cœur tel un torrent, me submergeant d’une vague de désespoir, m’étouffant presque. J’ai si mal tout à coup, je sens une douleur soudaine m’envahir, circulant à travers mes veines et alimentant chacune de mes cellules. C’est insupportable, j’ai l’impression que je vais m’effondrer par terre. Heureusement, Sophie-Anne est là pour me supporter, me permettre de rester debout, forte. Je pleure si fort, mes larmes inondent ses épaules, mes soubresauts me font presque peur tellement ils sont intenses. Toutes les émotions de la journée, ma peine, ma douleur, mes idées s’échappent en même temps, pêle-mêle, sans ordre logique. Comme si je m’étais retrouvée sous l’eau pendant trop longtemps et qu’enfin je me retrouvais à la surface, cherchant l’oxygène nécessaire pour reprendre mes esprits.
Maintenant que j’ai quelque peu repris mes esprits, je me vois dans l’obligation de contacter les amis de Martin qui attendent des nouvelles à son sujet. Mais comment leur annoncer ce qui arrive? Quels mots utiliser, par quoi commencer? Qui suis-je pour leur annoncer une telle nouvelle qui les bouleversera au plus haut point? Je sais pourtant que je me dois de le faire, et je n’irai pas me coucher tant que ce ne sera pas fait! Ma fidèle amie est assise près de moi, sur le sofa, tenant un sandwich qu’elle a préparée pour m’éviter de m’effondrer de faiblesse. Mais qui aurait faim dans une telle situation? Le sandwich restera là…Je prends mon courage à deux mains, une bonne inspiration et me voilà qui signale un premier numéro de téléphone. Dès que l’on décroche et que je me nomme, j’entends une voix enjouée me répondre. Les amis de Martin sont habitués de m’avoir au téléphone puisque Martin ne parle pas beaucoup suite à son opération. J’aurais envie de simplement discuter de tout et de rien avec eux, et raccrocher, tout simplement. Ne pas avoir à faire ce que j’ai à faire.
Le silence…première réaction de chaque ami suite à l’annonce…quel seront les premiers mots? Il fallait s’y attendre, on ne sait pas quoi dire. De toute façon, qu’y a-t-il à dire, vraiment? Les conversations se terminent toutes très rapidement, d’ailleurs. Tout a été dit, ne reste qu’à espérer tous ensemble. Après chaque appel, je me sens ridicule. Tout est si invraisemblable, que j’ai l’impression que je devrai tous les rappeler dans la prochaine heure et leur annoncer qu’il s’agissait d’une mauvaise farce. Je me demande tout à coup ce qui me prend de tous les appeler et de leur raconter toutes ces idioties ! Non mais, ce ne sont pas des farces à faire!!
MA VIE EN PARALLÈLE:
Les mois qui ont suivi l’annonce, je les ai passés dans notre appartement du plateau, avec le titre d’infirmière. J’ai pris soin de mon amoureux au mieux de mes connaissances, avec les conseils et les recommandations des infirmières du CLCS qui passaient chaque jour, du pharmacien que je rencontrais régulièrement étant donnée les nombreuses prescriptions, de la docteure qui nous visitait chaque semaine, de la physio qui soulageait les maux physiques de Martin. La table à dîner remplie de médicaments, je mangeais (quand j’avais le temps) au salon. Heureusement, quelques après-midi par semaine, la mère de Martin venait prendre la relève. J’en profitais alors pour faire les courses, travailler, passer à la pharmacie et si possible, m’arrêter quelques instants et prendre du temps pour me retrouver. Cependant, jamais je ne retrouvais la Julie que je connaissais. D’une fois à l’autre, c’était une Julie plus mature, plus réfléchie, sur l’adrénaline. Je devais gérer les moindre détails de la vie de Martin, m’assurer de son bien-être, des suivis médicaux, sans compter la gestion des visites des amis à l’appartement et des alternatives médicales possibles pour Martin. Martin étant probablement la personne la plus sociale que j’aie connue dans ma vie, il était entouré de plusieurs amis, tous aussi généreux et disponibles qu’il l’était lui-même. Ainsi, j’ai pu compter sur le support inestimable de ces gens au grand cœur. Eric, qui nous a installé de l’air climatisé dans la chambre du fond où couchait Martin. Shane, qui nous a fait rencontrer une naturopathe. La petite poupou, enceinte de 8 mois, qui prenait sa voiture et se rendait toute seule dans la grande ville pour garder Martin et me donner une pause. Sophie-Anne, qui s’assurait de mon bien-être jour et nuit. Ian et Lisa, qui me faisait de petites épiceries. Belle-maman qui m’apportait des petits plats pour la semaine. Ma famille, bien entendu, qui, malgré la distance, me supportait de son mieux (il faut dire que mon papa faisait des traitements de chimio à ce moment...mais ca, c'est une autre histoire!). Et bien d'autres personnes qui nous ont aidé à travers cette épreuve, de près ou de loin, que ce soit par du support moral ou de petites attentions.
Ces gens m’ont permis de passer à travers cette difficile épreuve, de m’accrocher à de solides bases et ainsi me permettre de me tenir debout et être forte pour Martin.
LE DÉBUT DE LA FIN
Ce matin-là, j’ai dû composer le 9-1-1. Rationnellement, ce sont trois simples chiffres. Émotionnellement, ils prennent un tout autre sens. C’était urgent, Martin était dans un état grave et je n’avais pas la moindre idée des répercussions. Quand j’ai vu ce sang couler de sa bouche, une autre Julie a pris ma place. Calme et en contrôle, elle a rassuré Martin, a relevé de lit électrique pour lui permettre d’être en position assise et lui a dit, tout simplement, qu’elle allait appeler de l’aide pour prendre soin de lui. Dès la sortie de la chambre, je suis revenue à la réalité…ce qui arrivait pouvais être très grave et je n’avais personne à mes côtés. Avant que la panique ne s’empare de moi, j’avais une dame du 9-1-1 à l’autre bout de la ligne. Je devais concentrer tous mes efforts pour ne pas crier au téléphone, pour lui expliquer le plus précisément possible ce qui se passait et m’assurer d’avoir du secours le plus rapidement possible. À l’arrivée des ambulanciers, j’ai dû donner de la morphine à Martin avant qu’on ne le transporte sur la chaise-civière. L’injection de ce médicament doit s’effectuer le plus lentement possible, puisqu’elle provoque une sensation de brûlure lorsqu’elle est faite trop rapidement. C’est incroyable à quel point il est possible, même dans les situations les plus extrêmes, de contrôler, sans faille, ce que nous faisons. Toute l’attention est orientée vers un seul but. Nous sommes en total contrôle de la situation et notre esprit ne voit rien d’autre. Puis, une fois traversée l’épreuve, on se retrouve à la surface de l’eau, on peut reprendre notre souffle, on revient à la vie…on revient à la dure réalité…
...et il faut continuer d’avancer.''